Si les sextoys ont été vecteur d’émancipation de la vie sexuelle féminine, certains se questionnent sur les conséquences qu’ils peuvent également avoir : orgasme mécanique, déconnexion au corps ou encore difficulté à atteindre la jouissance. Un nouveau débat, justifié ou pas ?
Depuis le Covid, la plupart des marques de sextoys ont vu exploser leurs ventes. Klarna, l’entreprise suédoise de paiement en ligne, s’est penché sur la question début 2022 et a constaté qu’en Belgique, près d’une personne sur cinq en achète tous les mois. Mais ce succès pose de nouvelles questions : cette démocratisation des jouets pour adultes peut-elle avoir un impact négatif sur notre sexualité ?
La ruée vers l’or(gasme)
Les jeunes notamment sont particulièrement friands d’expérimenter ces accessoires. En 2019, la marque de produits pour masturbation masculine Tenga publiait d’ailleurs une étude montrant que plus d’un Millennial sur deux avait déjà utilisé des jouets pour adulte. Les chiffres descendaient un tout petit peu du côté de la gen Z avec 30% de personnes en ayant déjà essayé. Parmi elles, Adèle, 23 ans et en utilise depuis quelques mois et nous a confié qu’au départ, “ça a été une vraie révélation et la découverte d’une sexualité différente”.
Il faut dire que le tabou autour de ce genre d’objet n’est plus autant présent qu’avant. On en parle dans les rubriques sexo, des YouTubeuses comme Clemity Jane en font leur sujet de prédilection et les magasins spécialisés mettent en place des stratégies marketing de plus en plus léchées pour attirer de nouveaux clients.
Il devient normal d’en discuter entre amis, voire même d’en offrir. « J’ai reçu mon premier sex-toy il y a quelques années à l’occasion de mon anniversaire. Mes copines ont voulu me faire plaisir. C’était un Rabbit », nous explique Elisa, 30 ans. Quelques années plus tard, c’est au tour de son compagnon de lui offrir un cadeau similaire : « Il m’a donné un Wand, qui m’a été très utile. Il faut savoir que nous n’avions pas de relations sexuelles durant ces deux ans et demi de relation, donc ça m’a sauvée d’une certaine façon. » Comme l’explique la trentenaire, les sex-toys ne se limitent pas à la simple découverte de soi, mais peuvent aussi être un complément voire même un accessoire essentiel pour une vie sexuelle épanouissante…
Je t’aime, moi non plus
Malheureusement, dans certains cas, le plaisir procuré par ces jouets est à double tranchant. Pour Adèle, ce « petit plus » s’est finalement retrouvé au centre de sa sexualité. « Maintenant, je dois avouer que c’est un petit peu devenu une addiction. Je ne prends plus le temps, il faut que ça aille ‘straight to the point’ comme on dit. Et je ne m’imagine pas arrêter d’en utiliser », ajoute-t-elle. Pour Elisa aussi, juste après sa rupture, la situation est aussi devenue compliquée.
« On va moins utiliser le cerveau pour faire appel à son imaginaire érotique. Ça peut créer une paresse corporelle »
Habituée à utiliser ce sex-toy au quotidien, elle a continué une fois célibataire. Mais rapidement, elle a remarqué que quelque chose clochait : « A un moment, je me suis vraiment rendue compte qu’à force de l’utiliser ça me frustrait. Parce qu’en fait, c’est tellement puissant que oui, j’atteignais l’orgasme, mais c’était un orgasme hyper désagréable. Je sentais qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas. »
Comme l’explique la sexologue Camille Nérac, dans certains cas, cette pratique en solo peut créer une habitude et entraîner des difficultés : « Ce qui peut arriver lorsqu’il y a une utilisation massive des sex-toys, c’est qu’un conditionnement se crée. Comme si le corps s’habituait à un certain type de stimulation. Et donc, il va devenir un petit peu paresseux. On est moins dans le moment présent, ça va être une stimulation mécanique. On va moins utiliser le cerveau pour faire appel à son imaginaire érotique. Ça peut créer une paresse corporelle. »
Mais la clinicienne insiste bien sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une généralité et qu’il ne faut pas pour autant redouter leur utilisation. « Il y a des personnes qui utilisent beaucoup de sex-toys et qui n’ont pas ce problème là. Il faut parler du conditionnement qu’ils peuvent créer, mais en relativisant. Il ne faut pas les diaboliser non plus. Ils ont tout de même beaucoup d’avantages, notamment pour l’émancipation de la vie sexuelle des femmes. »
Le grand méchant loup
Alix, jeune femme de 25 ans, témoigne de ce dénigrement des sex-toys dont elle s’est sentie victime. Atteinte de vaginisme, elle souhaitait utiliser ces jouets afin de retrouver du plaisir : « J’en ai parlé avec une sexologue qui me l’a déconseillé, en disant qu’après je ne pourrais plus jouir avec mes partenaires, que c’était ‘trop facile’. C’était horrible à entendre, j’ai d’ailleurs changé de sexologue. Mais c’est malheureusement un discours que j’ai souvent retrouvé dans les milieux médicaux et paramédicaux que j’ai fréquenté pour soigner mon vaginisme et mes troubles du désir. Et puis plus généralement, dans la société, c’est une idée reçue très courante. »
Effectivement, de nombreux articles et débats foisonnent, surtout sur Internet, autour de cette démocratisation jugée négative. Certains hommes avouent même se sentir menacés ou en rivalité avec les sex-toys. Au fil des années, Alix a développé un ras-le-bol : « Ça m’a fait me sentir très mal pendant longtemps et je m’empêchais de les utiliser à cause de ça. Depuis quelques temps, je suis passée de la honte et de la culpabilité à une forme d’agacement. Pourquoi chaque fois que les femmes trouvent des manières simples et saines d’avoir du plaisir sexuel on invente une nouvelle contrainte pour les en détourner ? A mes yeux, la réponse à cette question est liée aux hommes. Ils ont peur de ne plus réussir à faire jouir leurs partenaires et là, oh la la c’est un grand problème. On essaie donc de faire culpabiliser les femmes. »
Poser un lapin au rabbit ?
Mais quand bien même ce genre d’accessoire risquerait de créer une dépendance ou une habitude, comment s’en prémunir ? Camille Nérac donne régulièrement des conseils à ses patients et ses patientes : « Pour retrouver un équilibre, on peut essayer d’en diminuer l’utilisation. Ce n’est pas une fatalité, un retour en arrière est toujours possible. C’est juste qu’il faut prendre son mal en patience et recommencer des stimulations plus « classiques » si je puis dire, avec les mains, le corps. On va essayer de restimuler l’imaginaire érotique, restimuler le corps de manière moins forte. »
C’est d’ailleurs ce qu’Elisa a décidé de faire depuis maintenant plusieurs mois : « C’est en arrivant dans l’univers du tantra que je me suis rendue compte qu’en fait il y avait beaucoup de choses à aller découvrir. J’ai donc décidé de mettre mon sex-toy de côté pour aller me reconnecter à moi et à ma sexualité sans avoir un outil qui vient interférer. » Elle s’est ainsi intéressée au Vagina Kung Fu, un concept lancé par l’américaine Kim Anami où un œuf de jade lesté est inséré dans le vagin. Cette technique permettrait de muscler l’organe et d’améliorer la qualité de ses orgasmes. « J’ai utilisé cette pratique couplée à des exercices de respiration et des massages. Ça m’a permis de me reconnecter à mon vagin et d’aller travailler les blocages émotionnels qui étaient coincés dans cet organe si sensible. »
Le tantrisme a également été un bon allié pour Angie qui a su tout au long de sa vie garder un bel équilibre : « Cela doit faire une dizaine d’années que j’en utilise, voire plus. Ma sexualité est très riche, je n’ai pas des tabous et je pratique aussi le tantrisme. Donc les sex-toys, pour moi, font juste partie d’un tout. S’ils ne sont pas là, il y a mille autres façons de donner et de se donner du plaisir. » A 43 ans, cette animatrice radio spécialisée en sujets sexo reste convaincue de l’utilité et des bienfaits de ces jouets : « Pour moi les sex-toys font partie de la vie sexuelle au même titre qu’utiliser un lubrifiant, des accessoires, de la lingerie, etc. C’est différent et même si le jouet est très puissant, ça ne reste que des sensations physiques. Cela ne remplace en aucun cas les sensations ainsi que l’émotionnel du corps à corps et de l’humain. »
Comme pour toutes les bonnes choses, tout est une question de dosage. Il serait illusoire de penser que ces jouets pour adultes mettent en péril nos vies sexuelles. S’il est toujours intéressant de parler de leurs avantages et de leurs inconvénients, il n’y a pas de raison de les reléguer totalement au second plan. Que ce soit dans un but thérapeutique ou pour pimenter les ébats, ces petits bijoux technologiques restent de bons alliés de pur plaisir.
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